Stéphany Orain-Pelissolo
QU'EST-CE QUE LA MEDITATION DE PLEINE CONSCIENCE?
1) Définition…
Qu’entend-on réellement par méditation de pleine conscience ? Il existe différentes manières de méditer et il est important ici de préciser celle que nous allons suivre dans ce livre. Commençons par dire ce que la méditation de pleine conscience n’est pas. Ce n’est pas une nouvelle technique de relaxation, même si on peut se sentir détendu pendant la méditation ou après avoir médité ; cet état peut se produire comme ne pas se produire. Ce n’est pas non plus une fuite hors de la réalité, bien qu’il serait assez simple de l’utiliser ainsi. Ce n’est pas non plus une forme de transe, ou une expérience mystique, ou une religion. Ce n’est pas non plus ne plus avoir de pensées. Dans le Larousse, la méditation est définie ainsi : « action de réfléchir, de penser profondément à un sujet, à la réalisation de quelque chose : cet ouvrage est le fruit de ses méditations ; Attitude qui consiste à s’absorber dans une réflexion profonde : se plonger dans la méditation ; oraison mentale, application de l’esprit à des vérités religieuses. » Dans la philosophie bouddhiste, le terme le plus proche dans les langues classiques du bouddhisme est bhâvanâ, qui signifie “développement mental”. La méditation correspond à une pratique posturale, mentale, relaxante et rigoureuse. Il existe deux classes de pratiques en matières de méditation : Le shamatha (calme) développe la capacité de focaliser l’attention en un seul point ; le vipassana (vision) développe la perspicacité et la sagesse en voyant la vraie nature de la réalité. La personne qui médite commence par instaurer le calme dans son esprit (shamatha) pour pouvoir ensuite développer une vision plus vraie de ses ressentis et de la réalité. La méditation de pleine conscience se rapproche évidemment de la définition bouddhiste. Cette manière de pratiquer permet de développer une attention pleine et élargie à soi et au monde qui nous entoure. Le développement de la pleine conscience implique de savoir entraîner son attention pour revenir dans l’instant présent avec curiosité, ténacité, stabilité et fluidité afin d’accéder à une compréhension profonde de soi-même. Pour cela, il est nécessaire de développer aussi le calme, la bienveillance, l’empathie et une attitude curieuse. Maintenant, qu’est-ce qu’une compréhension profonde de soi-même ? C’est accéder à la connaissance et à la compréhension : - De notre corps, en explorant toutes les sensations présentes, lesquelles reflètent souvent l’état dans lequel nous sommes. - De notre expérience de l’instant (sa tonalité affective, son caractère agréable, désagréable ou neutre) et de notre réactivité à cet instant (est-ce que je cherche à éviter le désagréable ? À maintenir l’agréable ? Juste remarquer cela sans chercher à interpréter. Qu’est-ce qui est bon ou mauvais pour moi ? pour les autres ?) ; - De notre état émotionnel (comment allons-nous ? Quelle est notre météo intérieure ?) ; - De l’état de notre esprit, les pensées et les images mentales qui vont et viennent. Sans cette compréhension profonde de soi-même, il est difficile de ne plus se laisser embarquer dans le cercle vicieux de la souffrance.
2) Le développement de la mindfulness
Jon Kabat-Zinn, scientifique américain et adepte de la méditation zen, a développé, il y a une dizaine d’années, le programme MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction ou réduction du stress basée sur la pleine conscience). Il définit la mindfulness de cette manière : « État de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie moment après moment. » Cet état de conscience est opposé au fonctionnement en « pilote automatique ». Le plus souvent, dans la vie quotidienne, nous faisons plusieurs choses à la fois, nous fonctionnons en mode automatique, nous sommes rarement là où nous sommes. Le matin, à peine le pied posé par terre, vous êtes déjà en train de penser à tout ce que vous avez à faire dans votre journée ; sous la douche, en buvant votre café ou en vous rendant au travail, c’est la même chose. Vous avez sûrement déjà vécu l’expérience d’un trajet maison-bureau où vous ne vous êtes aperçu de rien, ni du paysage du nombre de feux ; à l’arrivée, vous étiez surpris d’être déjà là… Le principe de la méditation de pleine conscience est de nous apprendre à nous arrêter et à être présent, moment après moment, à ce que nous vivons. Vous me direz que c’est une perte de temps de ne faire qu’une seule chose à la fois, et il est vrai que tout aujourd’hui nous pousse à « papillonner » d’une pensée à une autre, d’une tache à une autre. En vérité, quand vous faites plusieurs choses à la fois, vous êtes moins concentré sur chacune d’elles, vous dépensez plus d’énergie, car votre attention se déplace tout le temps, vous risquez fort d’oublier certains détails et vous êtes moins rapide. Et, surtout, vous risquez des « dérapages », des sorties de route quand les pensées négatives qui surgissent malgré vous échappent à votre contrôle, volontaire et conscient, produisant les fameuses ruminations… Difficile dans une société qui nous demande d’être hyperactifs et proactifs de modifier cette habitude de pilotage automatique. Pour cela, il faut s’entraîner et « rééduquer » son attention, comme on rééduque sa cheville après une entorse en faisant de la musculation. Muscler son esprit consiste, lors d’exercices de pleine conscience (méditation, étirements, marche, manger, faire du sport), à rediriger encore et encore son attention avec curiosité dans l’instant présent. Des pensées surgissent quand vous faites un footing, c’est un processus tout à fait normal, votre cerveau est une machine à fabriquer des pensées qui ne s’arrêtera pas ! En revanche, vous avez le choix entre suivre ces pensées, ruminer, anticiper, monologuer (bref, augmenter le volume de la radio) ou juste observer qu’elles sont là, sans vous enliser dedans et en ramenant votre attention à la pleine conscience de vos sensations corporelles, de vos muscles, de votre souffle (baisser le volume de la radio pour n’avoir qu’un bruit de fond inaudible). Comme vous le voyez, cette méthode ne vise pas à ne plus avoir de pensées négatives mais juste à noter qu’elles sont là, sans les suivre, et à ramener son attention sur le souffle et le corps. On entraîne ainsi son esprit à rester dans l’instant présent, à ne pas voyager sans cesse dans le temps, le passé ou le futur. Méditer en pleine conscience pendant 30 à 45 minutes, c’est aussi faire un exercice sans rien en attendre de spécifique (bien-être, état de transe…). Plus nous espérons quelque chose de précis, moins nous sommes dans l’instant présent, car notre attention se porte alors sur les signes qui vont dans le sens de notre attente. D’un jour à l’autre, nous passons par différents états, jamais semblables, éphémères, comme l’impatience, l’irritabilité, l’envie de se lever, la détente profonde, le silence mental, la tristesse, la colère ; avec la méditation en pleine conscience, nous apprenons à « savoir être » avec ces états, à les observer sans chercher à les modifier ou à lutter contre eux comme nous avons l’habitude de le faire. Nous apprenons à accepter les choses telles qu’elles sont, agréables ou désagréables. Cette acceptation est facilitée par le fait que nous pouvons constater le caractère éphémère de nos pensées, de nos émotions, de nos sensations physiques, grâce à une observation sans jugement et distanciée.
3) La thérapie basée sur la pleine conscience
L’approche que je vous propose est ancrée à la fois dans les pratiques méditatives (MBSR, MBCT) et les pratiques psychothérapeutiques (thérapie cognitive, thérapie des schémas). Pourquoi les associer ? Dans le travail psychothérapeutique, on constate très souvent que nos patients sont accrochés à leur passé douloureux ou à leur douleur actuelle ; y revenir sans cesse entretient leur souffrance et les empêchent d’agir dans l’instant présent suivant une direction bonne pour eux. Dans leur cas, la méditation de pleine conscience permet :
- de s’établir dans l’instant présent, dans sa stabilité, le calme et la sécurité ;
- de faire ce mouvement particulier qui consiste à ramener le passé ici et maintenant
– cela change complètement la relation que nous entretenons avec les événements douloureux ;
- de reconnaître et d’accueillir dans notre corps des sensations en lien avec la douleur.
C’est un grand pas en avant de pouvoir permettre à la douleur d’être ce qu’elle est et de rester présent à sa résonance corporelle. Une fois la douleur accueillie, qu’en faisons-nous ? Comment continuer à vivre avec elle ? Comme nous l’avons vu, la douleur est inhérente à la condition humaine et très souvent, elle est présente pour signaler un besoin fondamental qui n’est pas respecté. De plus, une douleur actuelle peut réactiver une douleur passée, et tant que celle-ci ne sera pas conscientisée, elle se réactivera dans l’instant présent. D’où le choix que j’ai fait d’associer la méditation de pleine conscience à la thérapie des schémas développée par Jeffrey Young et dont je vous ai déjà parlé dans la première partie[MC6]. Dans certaines pratiques de méditation seront donc présents les concepts de schémas, de ressources, de stratégies pour survivre, de besoins affectifs fondamentaux et de travail avec son enfant intérieur. La méditation de pleine conscience, par ses principes actifs, facilite le processus thérapeutique qui s’appuie la thérapie des schémas.[MC7] 6) En quoi la pratique de la thérapie basée sur la pleine conscience va vous aider dans votre vie de tous les jours ? Souvent quand nous sommes tristes, angoissés ou en colère, nous avons peur que ces émotions pénibles durent et nous commençons à monologuer à propos de cette peur : « je savais bien que cela allait revenir » ; « pourquoi ne suis-je pas comme tout le monde ? » ; « pourquoi ne suis-je pas heureux ? » ; « je ne pourrai jamais être serein ! » ; « je n’y arriverai jamais… » Ces ruminations et ces anticipations ne font qu’amplifier les émotions pénibles qui elles-mêmes augmentent les ruminations et les anticipations… La première étape pour sortir de ce cercle infernal va être de rééduquer notre attention. En temps normal, celle-ci est involontaire et se dirige vers tout ce qui peut la distraire. Nous allons donc l’entraîner à se désengager des pensées et des images mentales qui la distraient et l’éloignent de l’ici et maintenant pour la rediriger de manière intentionnelle là où nous le souhaitons. La seconde étape va consister à apaiser notre esprit pour y voir plus clair. L’intention ici consiste à maintenir son attention dans les sensations corporelles qui sont en lien avec l’inspiration et l’expiration. Attention : il ne s’agit pas d’observer, d’analyser, de contrôler sa respiration, car ce serait repartir dans le mental, il s’agit plutôt d’une expérience sensorielle : vous devenez votre corps qui respire. Cette étape est fondamentale pour développer la pleine conscience, c’est-à-dire une attention pleine, élargie, curieuse et fluide. Ces deux premières étapes demandent de la ténacité, de la stabilité ainsi que de la bienveillance. Cette base étant établie, vous allez pouvoir ouvrir le champ de votre attention et être présent à de nombreuses facettes de votre expérience sur un plan sensoriel. Souvent nous n’avons conscience que de l’accumulation des événements sur un plan conceptuel. Or ce sont justement ces histoires que nous raconte notre cerveau au sujet de ce que nous vivons qui nous rendent malheureux et nous font perdre le contact avec nous-mêmes, avec ce qui est bon pour nous, avec nos valeurs. Pour arrêter l’agitation de l’esprit, il faut donc d’abord le connaître afin d’accéder à la compréhension de ce qui s’y passe. Il est également important d’y être présent maintenant, car c’est ici que tout peut changer ; ce n’est ni hier ni demain. La méditation de pleine conscience permet aussi d’apprendre à connaître ses émotions et à ne plus en avoir peur. Nous pouvons expérimenter que nos émotions sont passagères si nous arrivons à les accueillir avec « bienveillance », c’est-à-dire sans enclencher la machine à penser et sans chercher à les chasser, mais en essayant de les ressentir dans notre corps et de respirer avec ces sensations, parfois désagréables, mais qui, finalement, passent d’elles-mêmes. Accueillir la sensation physique désagréable liée à une émotion pénible permet de prendre conscience de son état et de prendre soin de soi, comme nous prendrions soin de la douleur d’un proche. Si un ami vous dit qu’il est triste, lui répondrez-vous que ce n’est rien, le laissant souffrir seul ? Non ; vous l’inviterez probablement à vous parler de ce qui ne va pas, vous le prendrez peut-être dans vos bras, vous accueillerez sa souffrance. Il est normal d’être triste dans certaines situations et cette tristesse passe naturellement avec le temps. Pour des raisons physiologiques, toutes les émotions, positives ou négatives, sont transitoires si rien n’entrave leur flot naturel. C’est pour cela également qu’il est indispensable de savoir profiter de l’instant présent en savourant, jour après jour, ce que la vie nous offre de positif. Il ne sert à rien d’attendre tel ou tel événement pour s’autoriser à être heureux : trop d’obstacles risquent de rendre cette attente infinie. L’état de bien-être est beaucoup plus dû à la somme des petits bonheurs qu’à des bonheurs très intenses, qui sont plus rares au cours d’une vie. L’acceptation de cette réalité, qui est une des clés de la démarche de méditation, permet de concentrer son énergie sur les moments positifs et de mieux surmonter les moments négatifs. La méditation de pleine conscience s’adresse à chacun d’entre nous, mais tout particulièrement à ceux qui souffrent d’anxiété ou de dépression. Ces états empêchent d’être dans l’instant présent (regrets, ruminations, anticipations anxieuses, etc.), les personnes s’accrochant à leurs pensées négatives et se laissant submerger par elles et par leurs émotions. Mais certains processus sont communs à toutes les souffrances. Que vous souffriez de tristesse, d’anxiété, de douleurs physiques, de stress ou d'accès de colère, votre attention sera ainsi en permanence attirée par vos maux ; vos pensées deviendront alors votre réalité, ce qui ne fera qu'augmenter votre ressenti émotionnel désagréable. En pratiquant la méditation de pleine conscience, vous apprendrez à entraîner votre attention à se porter sur l'instant présent, et non pas à boucler sur votre souffrance[MC8]. Vous pourrez ainsi prendre [MC9]du recul par rapport à vos pensées et comprendre qu'elles ne reflètent en rien la réalité, qu’elles ne sont qu'une création de votre esprit, dépendantes de l'état émotionnel dans lequel vous vous trouvez. Cette distance d'avec vos pensées vous permettra d'accueillir et réguler vos émotions. La méditation de pleine conscience n’étant pas uniquement un exercice attentionnel, ce rendez-vous quotidien avec soi-même va vous permettre aussi d’apprendre à connaître vos pensées, vos schémas de réactivité, vos états d’âme, vos douleurs les plus profondes, vos besoins, vos limites, en prenant la responsabilité d’accepter votre expérience telle qu’elle est (agréable, désagréable ou neutre), en étant curieux et sans jugement par rapport à celle-ci.